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Encore un peu de lard dans ta glace?

publié le 14 juin 2012, 14:31 par Philippe Rondas   [ mis à jour : 14 juin 2012, 14:33 ]
C’est aussi ça, le voyage. La rencontre des cultures passe nécessairement par la gastronomie. Le kopi Luak indonésien, le Thali en Inde, le Pho au Vietnam, le poisson cru polynésien, la pupusa salvadorienne...Aux Etats-unis, on a que l’embarras du choix en termes de plats scandaleusement gras, sucrés et caloriques. J’ai décidé d’aller droit au but et de viser directement le pire : j’ai testé le tout nouveau Bacon Sundae du Burger King.

13h20 : Je prends la décision d’affronter cette abomination. Je me dirige d’un pas exalté vers le Burger king le plus proche. Je pousse la porte. Je me sens habité par l’esprit des pionniers d’antan. Je suis le Philippe de Dieuleveut de la gastronomie, le docteur Livingstone du dessert, le Haroun Tazief de la cochonaille.
Un peu gêné quand même, j’interpelle la serveuse : « Euh, j’ai entendu parler d’une glace au lard… »
Froncement de sourcil, la serveuse pose la question à sa chef, qui confirme. Ça glose dans la cuisine. Visiblement, on en commande pas souvent. Il est encore temps pour moi de reculer, de courir vers la sortie.
La serveuse revient avec sa création. J’affronte son regard. Oui, je suis le mec qui a commandé ça. Mais, après tout, elle est la femme qui vend de la glace au lard. Qui est le plus à blâmer ? En marchant vers l’hôtel, je prends garde à ne pas croiser le regard de la jeunesse branchée et végétalienne de la Nouvelle Orléans.


13h35 : je rentre, triomphal, brandissant mon dessert charcutier devant l’expression dégoutée de Maga. Je n’assume pas assez mon appétit d’aventure pour me laisser aller à une dégustation en public. Je consommerais la chose dans l’intimité de ma chambre d’hôtel.
Je commence par humer la coupe. Ça sent le bacon frit. Je comprends que ça ne va pas forcément bien se passer. Première cuillère… Ça goûte exactement ce à quoi ça ressemble : de la glace vanille, nappée de chocolat et de caramel, constellée de morceaux de lard salé.


Je comprends mon erreur. J’avais follement espéré que les chefs-coq du Burger king auraient trouvé une alchimie pour marier les saveurs : une manière de caraméliser le gras de cochon, qui le rendrait compatible avec la glace vanille. Il n’en est rien. C’est de la glace au lardon avec tout ce que ça implique : c’est dégueulasse.

Je persiste. J’ai décidé d’en faire mon diner, ainsi soit-il. Je mets un point d’honneur à ingurgiter les 510 calories annoncées. J’essaie de m’y faire, en vain. Chaque brisure de bacon croustillant au milieu de la crème glacée est une nouvelle épreuve. Je pense avoir gagné. Creusant toujours plus loin dans le godet, je suis arrivé à un niveau ou il n’y a plus de lard : il ne reste que la glace et le caramel. En fait, sans le bacon, ça donne une glace parfaitement honorable.
Mon répit est de courte durée. Comme pour dire aurevoir, les boucher-pâtissiers ont encore planqué quelques cretons dans le fond du potiquet. Un dernier baroud d’honneur, une ultime cuillère de ce sucré-salé inoubliable.Je pose le conteneur plastique enfin vide. Je ne me sens plus si fier : Adieu Philippe de Dieuleveut, Haroun Tazief et Livingstone. Je suis Homer.
Je n’ai plus faim. J’ai honte.

14h30 : Comme c’est étonnant, j’ai un poids sur l’estomac. J’ai chaud et j'ai mal à la tête. La digestion s’annonce laborieuse.
Le journalisme gastronomique de l'extrême, on ne m’y reprendra plus.
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